Limiter la vitesse et la contester : un éternel débat?

Quand le gouvernement d’Edouard Philippe a annoncé, en janvier 2018, sa volonté d’abaisser la limitation de vitesse de 90 à 80 km/h sur les routes à deux voies sans séparateur central, savait-il qu’il ouvrait une boîte de Pandore ? Quand éclate la crise des Gilets jaunes, quelques mois plus tard, cette mesure fait en effet partie des principaux motifs de contestations. Comme en témoigne un courrier des lecteurs paru dans Ouest-France le 12 juin 1979, ce débat n’est pourtant pas nouveau1.

Carte postale. Collection particulière.

Les mesures de limitations de la vitesse – et les contestations qui en découlent – sont aussi vieilles que les automobiles elles-mêmes. Ainsi, l’ordonnance du 14 août 1893 prise par Louis Lépine,  préfet de police de Paris, décrète que la vitesse maximale « ne devra pas excéder 12 kilomètres à l’heure, dans Paris et dans les lieux habités ; il pourra être porté à 20 kilomètres, en rase campagne ». Le code de la route de 1923, dans un contexte d’accroissement du nombre de véhicules, instaure une réglementation de la vitesse encore plus stricte en milieu urbain que rural. Il faut en fait attendre les années 1970, âge d’or de la démocratisation de l’automobile, mais également âge sombre à cause de la mortalité sur les routes – record de près de 17 000 morts en 1972 –, pour voir des limitations de vitesse plus strictes prises au niveau national : 90 km/h hors agglomération et 120 km/h sur les autoroutes en décembre 1973, avant de rapidement évoluer vers les normes 130, 110 et 90 km/h qui auront cours jusqu’à la récente réforme.

Qui dit limitations de vitesse, dit contrôle de cette vitesse. C’est ainsi que fleurissent sur le bord des routes les radars routiers, véritable bêtes noires des automobilistes. Si les premiers prototypes – le Mesta 100 – est mis au point dès 1946, la décennie 1970 voit le règne du « barbecue », ou « poêle à frire », le Mesta 206. Dès lors, avec ces nouveaux moyens techniques, les contrôles de vitesse effectués par les forces de l’ordre passent à un stade « industriel » : le radar, autrement appelé « cinémomètre », est couplé à un appareil photo qui permet de flasher les voitures en excès de vitesse2. La verbalisation des contrevenants part à la hausse. En contrepartie, la réputation des gendarmes suit la courbe inverse…

C’est ainsi, que Jacques Lannier, lieutenant-colonel de gendarmerie à Saint-Armel dans le Morbihan, tente de défendre la nécessité des contrôles de vitesse dans le quotidien breton le plus lu :

« Je les crois nécessaires et utiles […] Le temps n’est plus aux fantaisies, l’intensité et les difficultés de la circulation, le prix des vies humaines, l’obligation de réduire la consommation [de carburant] s’y opposent. »

Une contestation qu’il impute à « notre tempérament plutôt latin [qui] fait que les pieds droits enfoncent toujours une pédale, accélérateur ou frein » et qui se traduit par une dégradation des relations avec les forces de l’ordre : « Il faudrait que cessent ces jeux ridicules et enfantins consistants à prétendre que la règle c’est pour les autres et pas pour soi, à tout faire pour rendre plus pénible la tâche du policier ou du gendarme, déjà pas facile, en ergotant sur la qualité ou la position des appareils, sur l’emplacement du verbalisateur, en exploitant toutes les possibilités du droit et l’esprit procédurier des Français, jeux qui ne peuvent que compliquer encore les problèmes. »

Carte postale. Collection particulière.

Mais le plus gros fléau, à en lire l’officier de gendarmerie, plus encore que les contestations, ce sont les « passe-droits », l’art de « faire sauter » sa contravention :

« certaines municipalités […] ne se font pas faute d’envoyer en paquet à leur commissaire de police les contraventions des employés municipaux, encourues, ou hors service, pour classement […] J’admire les pays où le plus effacé des policiers fort de son droit et des pouvoirs qu’il détient, fait payer la contravention méritée à n’importe quel personnage, fut-il parmi les plus hauts placés. »

Là est certainement la critique la plus acerbe de cet incorruptible de la route :

« Tout le monde [doit] respecter les limitations. A commencer par ceux quoi doivent donner l’exemple ! Or, des cortèges ministériels ou préfectoraux roulant à tombeau ouvert à toutes les catégories d’élus […] dont le temps est précieux..., mais ne l’est-il pas pour tous ? »

L’exemplarité des élites qui créent les réglementations et contraignent les libertés individuelles des Français, voici une autre revendication qui semble traverser les décennies.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

 

1 « Limitations de vitesse : une discipline pour tous », Ouest-France, 12 juin 1979.

2 INA. « Radar pratique », Auto moto, Télévision Française 1, 12 juillet 1975, en ligne.